Thursday, February 5

the stories we tell ourselves

Is the fiction we read simply a more artful form of the stories we tell ourselves to interpret our lives? One blog-reader posits the question and initiates a discussion of the French-Canadian writer and thinker Nancy Huston, (to read this post in English just scroll down)

Au printemps 2008, Nancy Huston a publié L’espèce fabulatrice, un essai magnifique et précieux. Pour commencer à en parler, j’emprunte un chemin de traverse.
Vendredi soir. Après une épuisante semaine de labeur, vous rentrez enfin chez vous. Mais, pour l’instant, votre voiture est immobilisée dans un embouteillage. Cela va durer longtemps et dans votre exaspération, vous en voulez particulièrement au conducteur qui vous précède. Son comportement, selon vous, ne fait qu’aggraver votre situation. Il vous ralentit. A la limite, il vous empêche de rentrer chez vous.
Bien-sûr, de votre place, vous ne pouvez prendre la mesure ni de la foule automobile qui vous précède, ni de l’ampleur de l’accident qui, en aval, ralentit le flux et contrecarre vos projets.
Mais enfin, ce type devant, il le fait exprès, autant que ces tard-venus qui essaient d’usurper votre place dans la file, de gagner quelques mètres. Bref, à n’en pas douter, chaque minute passée ou perdue décuple votre rage que spontanément vous tournez vers les autres conducteurs.
Tout naturellement, vous avez tendance à rendre les autres, tous les autres, responsables d’une situation qui vous contrarie, vous accable.
Mais vous pourriez aussi bien, au lieu de vous retrancher ainsi de vos semblables, considérer que vous êtes, comme dans la vie, partie prenante d’un ensemble de circonstances qui vous dépassent. Vous pourriez, peut-être plus profitablement, vous considérer comme un élément dans un vaste ensemble, comme une partie d’un grand tout, reliée à toutes les autres et animée d’une même volonté d’avancer. Vous pourriez donc, dans cet état d’esprit, faire corps avec tous les autres et au moins y gagner en sérénité.
Cette situation plausible permet de postuler notre tendance spontanée à fabuler. D’un état d’esprit à l’autre, il s’agit toujours d’une histoire que l’on se raconte à soi-même ou d’une interprétation élaborée à partir de ce qui nous arrive.
Tout cela ne dépasserait pas le stade de l’anecdote si cet imaginaire n’avait dans le réel des conséquences très concrètes : un poing levé ou un geste bienveillant, c’est tout un comportement qui découle…d’une fiction.

In the Spring of 2008 NH published ‘L’espèce fabulatrice’* a magnificent, valuable essay. A short digression will serve as an introduction, (*note from ‘daydreamer’ - I find this title very difficult to translate – ‘the Storytelling Species’ is literal and clumsy, ‘the Fabulists’ far from exact though sounds better on the ear)

It’s Friday evening. After a hard week’s work you’re finally on your way home. But for the minute your car is stuck in a traffic jam. This is going to take a while and in your exasperation you bear a particular grudge against the driver in front of you. You find his behaviour particularly annoying. He's slowing you down. The least that can be said is that he's the one stopping you getting home.
Naturally from where you are in the car you have no way of making out either what’s going on in the crowd of cars jammed in front of you or any details of the accident far ahead which is slowing down the traffic flow and stalling all your personal plans.
Hell, the guy in front must be acting this way on purpose, just like all those late-comers trying to snitch your place in the traffic so as inch a few metres ahead. To cut a long story short, every minute you waste increases the fury you direct against all the other drivers.
Your natural reflex is to blame someone else. To hold anyone and everyone responsible for whatever situation is irritating or for some reason getting on top of you. However, instead of cutting yourself off from your fellow human beings you could just as well bear in mind that just as in life itself you are part and parcel of an overall set of circumstances beyond your control. Perhaps it would be more to your advantage to see yourself as an element in a vast whole, as part of a larger unit, linked to all the other elements, all of whom are inhabited by the self-same fervent will to move forward. Looking at it this way you will at least join forces with everyone else and gain some peace of mind.
This very plausible sort of situation shows how spontaneously we tend to tell ourselves stories. From one state of mind to another we are forever embroiled with some story or interpretation we’ve built up out of what is happening to us.
And none of all this would ever get beyond the stage of mere storytelling if the imagination did not have such concrete consequences on the here and now; a raised fist or a kind gesture - all forms of behaviour that take their source in …works of fiction.

6 comments:

  1. Funny how this argument reminds me almost word for word of a discussion in which the dalaî-lama talks about the human tendency to 'erroneous perceptions'..the idea being that we are not so much 'storytellers' - a romantic interpretation -as victims of habit..

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  3. Tiens, c'est rigolo ce que tu m'écris à propos du dalaï-lama et des perceptions
    erronées. Mais non, l'exemple que j'ai choisi n'a pour moi pas de rapport avec
    le chef du Tibet. En vérité, l'arrière-fond de ce simple exemple est la
    philosophie de Leibniz.

    Pour Leibniz, la réalité est constituée de ce qu'il appelle des monades que tu
    peux considérer comme étant les éléments les plus petits de la réalité, un peu
    comme les atomes dans la pensée grecque. Seulement, les monades de Leibniz sont,
    dit-il, "sans porte ni fenêtres" c'est-à-dire qu'elles ne peuvent pas être
    influencées ni modifiées par aucune autre monade. Rien n'agit sur elles... Un peu comme le conducteur de voiture en colère qui déteste le monde entier et qui est persuadé d'avoir raison...

    Ce n'est pas tout, ces monades dont nous sommes faits et qui constituent toute la réalité, sont aussi un point de vue sur le monde dans son ensemble ( sur l'"univers" dit Leibniz...). Chaque monade, comme chaque spectateur dans un théâtre, tout en assistant au même "spectacle", a un point de vue singulier et différent des autres. Ainsi, il y a une correspondance entre toutes les monades ou une "harmonie" comme le dit
    Leibniz, puisque toutes ensemble expriment le monde, chacune suivant ses aptitudes et selon le lieu qu'elle occupe. C'est à cette harmonie que je pensais en écrivant la fin du texte ( mais en l'occurence, une harmonie volontairement recherchée puisque, me semble-t-il, l'être humain et même l'automobiliste a des portes et des fenêtres, c'est-à-dire une sensibilité !)

    Voilà. Je voulais surtout éclairer différement L'Espèce Fabulatrice qui n'est pas un trop lourd traité de philosophie mais un texte aérien qui pose des questions très sérieuses.

    Je ne sais pas ce que sont exactement les perceptions erronées du Dalaï lama, mais Leibniz a aussi une très belle conception de ce qu'il appelle les "petites perceptions" : lorsque nous entendons le bruit d'une vague par exemple ( exemple woolfien !), inconsciemment, nous percevons le bruit de chaque goutte d'eau.
    J'aime beaucoup cette image.

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  4. Récit imaginaire, subjectivité, interprétation, fabulation, affabulation, mensonge, mythomanie ??? perception ?

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  5. (comment pasted for *fifilangstrump*)

    Cela m'a fait penser à l'image qu'un intellectuel utilisait pour expliquer l'idée de...construction d'un système de coordination de
    plusieurs connaissances (je m'excuse, je ne me rappelle plus de terminologie exacte et suis encore moins capable de bien traduire; le contexte était scientifique et plus particulièrement il s'agissait des sciences ( à propos de l'homme): on peut imaginer un énorme éléphant autour duquel se trouvent les personnes qui essayent de le décrire. Mais chacun voit uniquement la partie tournée vers lui : celui qui voit la queue est persuadé que ce qu'il voit est l'éléphant, et ainsi pour tout le monde, en fonction de leur place par rapport à cet éléphant. On ne peut pas dire que ce qu'il voient n'est pas vrai ou n'est pas objectif. On ne peut pas non plus construire le model d'éléphant juste en ajoutant les images l'un à l'autre. La "vrai" réprésentation sera une coordination élaborée de ces projections.
    A vrai dire je n'ai jamais compris cette histoire de Leibniz avec les monades :)

    Est-ce que nos interprétations sont vraiment si déconnéctées de "l'ensemble" ? Et la possibilité de "se considérer comme un élément dans un vaste ensemble" ne vient-t-elle pas d'un effort de dépasser un peu sa "projection" ?

    "puisque toutes ensemble expriment le monde, chacune suivant ses aptitudes et selon le lieu qu'elle occupe" - oui!

    "elles ne peuvent pas être influencées ni modifiées par aucune autre monade" - c'est ça que je n'arrive pas à imaginer :) l'idée des monades avec les portes et fenêtres signifie pour mois non seulement la
    sensibilité mais aussi cette capacité de sortir mentallement de l'interprétation "individuelle"

    Ainsi, pour révenir à la question posée au début du post de Daydreamer -
    "Is the fiction we read simply a more artful form of the stories we tell ourselves to interpret our lives?" - personnelement je ne pense pas que c'est juste "more artful form", mais justement que l'écrivain réussi imaginer et nous faire vivre d'autre interprétations de la vie, qu'il fait lui-même ce "travail", ou cet effort, qu'on ne fait pas toujours (plutôt très rarement ou jamais) ...tout ça pour avouer que je n'ai pas encore lu Nancy Huston...

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  6. A vrai dire, mon 1er commentaire, suite à l'intervention de Daydreamer n'était pas nécessaire pour comprendre le très naïf exemple de l'embouteillage. Le message de cet exemple ne prétendait rien dire de plus que ceci : une fiction a ou peut avoir des effets très concrets.

    Effectivement, les monades leibniziennes sont sans porte ni fenêtre. Mais chacune contient sa propre histoire ( les monades tirent tout de leur propre fonds ) et en chacune se reflète l'univers entier. Tout se passe donc comme si chacune de ces portions du réel déroulait un programme interne ( qu'on peut imaginer comme ressemblant à une partition musicale dont chaque monade ne serait que l'interprête ) tout en reflétant, depuis sa position, le reste du monde.

    Cette "passivité" des monades tient au fait que dans la vision d'ensemble que propose Leibniz, il faut accorder une place éminente à Dieu qui est le principe sans lequel le monde ne tiendrait plus sur ses jambes. Cette place éminente est celle du chef d'orchestre et du compositeur: il oeuvre en vue de l'harmonie dont il est l'auteur.

    Il n'est réellement pas nécessaire de se spécialiser dans les systèmes philosophiques de l'âge classique pour aborder l'oeuvre de Nancy Huston. Cela dit, en se rendant disponible aux intuitions d'un penseur comme Leibniz ou de n'importe quel autre philosophe, il me semble que l'on contribue à rendre le monde meilleur. C'est l'un des messages de L'Espèce Fabulatrice.

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